Tout a commencé par une observation, il y a 10 ans, chez des souris de laboratoire. La mutation du gène BMI1 induisait chez le rongeur le vieillissement accéléré de ses yeux et de son cerveau. « On a constaté que sur le plan moléculaire, 20 jours après leur naissance, ces souris avaient un vieillissement comparable à celui d’une souris de 2 ans. » PHOTO AFP
Après 10 ans de travaux, une équipe de chercheurs de l’hôpital Maisonneuve-Rosemont croit avoir identifié la cause principale du déclenchement de la maladie d’Alzheimer (MA), affection en hausse constante, qui touche aujourd’hui environ 125 000 Québécois.
La perte du fonctionnement du gène BMI1 dans les neurones humains joue un rôle direct dans le développement de la maladie d’Alzheimer, conclut une étude majeure menée par le Dr Gilbert Bernier, qui vient d’être publiée dans la revue scientifique Cell Reports. (https://www.cell.com/cell-reports/fulltext/S2211-1247(18)30675-2)
« C’est la découverte la plus importante sur l’Alzheimer depuis l’identification des gènes dans les formes génétiques familiales de la maladie, en 1995, s’est réjoui le Dr Bernier, qui enseigne également au Département de neurosciences de l’Université de Montréal. C’est une nouvelle extrêmement importante. » D’autant plus que passé 90 ans, une personne sur deux souffrira de cette maladie, prédit le spécialiste.
Le lien entre la diminution de l’expression du gène et le déclenchement de la maladie d’Alzheimer a été observé chez les personnes qui ont la forme la plus courante de la maladie, dont l’origine est inconnue et dont le facteur de risque principal est l’âge – ce qui exclut la forme précoce familiale de la maladie, qui touche une minorité de gens.
Tout a commencé par une observation, il y a 10 ans, chez des souris de laboratoire. La mutation du gène BMI1 induisait chez le rongeur le vieillissement accéléré de ses yeux et de son cerveau. « On a constaté que sur le plan moléculaire, 20 jours après leur naissance, ces souris avaient un vieillissement comparable à celui d’une souris de 2 ans. »
C’est à partir de ce moment que l’équipe du Dr Bernier s’est dite que ce gène – isolé en 1991 par des chercheurs néerlandais en lien avec certains cancers du sang – pouvait potentiellement être responsable du vieillissement « accéléré et pathologique » du cerveau. « Depuis 10 ans, c’est ce qu’on essaie de démontrer », nous dit ce spécialiste.
L’analyse du cerveau de personnes décédées de la MA comparée au cerveau de personnes du même âge décédées d’autres causes, a confirmé l’intuition du Dr Bernier. Seules les personnes qui avaient eu l’Alzheimer avaient un gène BMI1 « silencieux », dont la fonction avait diminué de manière significative.
Le Dr Bernier et son équipe ont voulu savoir s’il s’agissait bel et bien d’une cause ou d’une conséquence de la maladie. « On a regardé le cerveau de personnes qui sont décédées avec la forme précoce de la maladie d’Alzheimer, des gens qui sont morts à 40 ou 45 ans. Si c’était une conséquence, on aurait constaté une baisse d’expression du gène, mais leur gène fonctionnait normalement. »
Grâce à ces informations, les chercheurs montréalais ont reproduit la maladie d’Alzheimer en laboratoire. Après avoir produit des neurones humains normaux, ils ont inactivé le gène BMI1 grâce à des méthodes génétiques. « Toutes les marques neuropathologiques de la MA ont été reproduites ».
L’équipe du Dr Bernier va maintenant se concentrer sur la manière de restaurer la fonction de ce gène.
« Pourquoi il ne fonctionne pas ? C’est la question à laquelle on essaie de répondre, nous dit-il. On sait qu’il ne s’agit pas d’une mutation de gène, donc la tâche est moins ardue. En fait, on a une bonne idée du mécanisme moléculaire qui fait en sorte que le gène devient non fonctionnel. La prochaine étape consistera à trouver le moyen de restaurer la fonction du gène. »
Les dernières études moléculaires de l’équipe du Dr Bernier révèlent que « la perte de BMI1 induit une production accrue des protéines bêta-amyloïdes et Tau ainsi qu’une diminution de la capacité naturelle des neurones à éliminer les protéines toxiques ». « On a l’intention de publier d’autres articles sur le sujet plus tard cette année », a-t-il indiqué.
Évidemment, on est encore loin d’une approche thérapeutique, mais l’équipe du Dr Bernier est certaine de s’en rapprocher. Elle a même fondé une compagnie en 2016, StemAxon, dont le but est de trouver un médicament pour « prévenir l’évolution de la maladie ou même renverser son processus. »