Mardi, 15 Mars 2016 12:06 Journal FORUM
«Notre capacité à interagir de manière efficace avec notre environnement est essentielle à notre survie. Cela exige une multitude d’interactions entre les neurones dans différentes régions du cerveau», affirme John Kalaska, professeur au Département de neurosciences de l’Université de Montréal.
«Par exemple, si j’ai soif, mon cerveau doit déterminer la position dans l’espace de ma tasse de café, évaluer la distance à parcourir et organiser un mouvement de saisie approprié pour poser la main au bon endroit. Ce mouvement en apparence très simple implique des millions de neurones répartis dans diverses régions cérébrales. Ces interactions changent continuellement selon le contexte comportemental et nos buts à court et à long terme, qui établissent quelles informations traiter afin de décider quoi faire et comment.»
En neurosciences, il s’est fait beaucoup de recherche pour comprendre comment les neurones du cortex recueillaient les éléments d’information nécessaires afin de choisir la meilleure stratégie comportementale ou le mouvement le plus adéquat dans un contexte donné. «Ces travaux sur les mécanismes neuronaux responsables des prises de décision qui guident nos actions motrices nous ont permis d’apprendre que certaines zones cérébrales sont spécialisées selon le type de décision et le contexte», résume son collègue Paul Cisek, aussi professeur au Département de neurosciences de l’UdeM. Autrement dit, notre cerveau utilise préférentiellement une voie plutôt qu’une autre selon les tâches qu’il a à accomplir. Il n’y a donc pas une, mais de nombreuses façons de faire circuler les informations. Certaines filent à vive allure sur les autoroutes. D’autres voyagent sur les voies en bordure…
Ce genre d’avancées fera l’objet du 38e Symposium international du Groupe de recherche sur le système nerveux central (GRSNC), de la Faculté de médecine de l’Université, qui se tiendra sur le campus les 2 et 3 mai prochain. Sur le thème «La neuroscience de la prise de décision», 20 conférenciers du Canada, des États-Unis, de France et de Grande-Bretagne feront le point sur les plus récents travaux, les progrès réalisés et les questions centrales de ce domaine en évolution rapide.
«Nous allons porter une attention particulière aux questions allant des neurosciences de base aux applications cliniques. Les conférences mettront en évidence les découvertes couvrant toute la gamme des méthodes et concepts neuroscientifiques», fait valoir M. Cisek, l’un des cinq organisateurs du symposium.
Des réseaux pour agir
Depuis les années 80, on a mis au point plusieurs techniques d’imagerie – comme la résonance magnétique fonctionnelle et la tomographie par émissions de positrons – qui ont permis de mieux comprendre comment fonctionne le cerveau humain. Grâce à ces technologies, les chercheurs peuvent désormais étudier les mécanismes neuronaux à la base des processus cognitifs.
«Le cerveau est l’organe humain le plus complexe. Même si plusieurs mécanismes précis de son fonctionnement demeurent encore obscurs, nous sommes à la veille de faire d’autres découvertes très importantes», estime John Kalaska, qui compare cette période à celles des années 50 et 60, où les mécanismes de codage génétique de l’ADN ont été mis au jour. «En mesurant les variations des décharges électriques émises par les neurones, nous pouvons associer leur activité à l’une ou l’autre des étapes de traitement de l’information qui sont essentielles à l’accomplissement d’une tâche comportementale, indique-t-il. À l’aide de modèles mathématiques et statistiques, nous pouvons ensuite déterminer quels sont les mécanismes d’encodage et de transformation des informations pertinentes, c’est-à-dire “le langage interne du cerveau”, dans les patrons d’activité des neurones.»
«C’est fascinant, ajoute le chercheur. On peut voir en temps réel les patrons d’activité des cellules et prédire, simplement en entendant les décharges, ce que le sujet va faire avant même qu’il passe à l’action.»
La prise de décision dans la nature n’est que l’une des quatre thématiques du symposium. Deux autres séries de conférences porteront sur les représentations cérébrales et sur les mécanismes neuronaux en jeu dans le codage et l’apprentissage. Les exposés de la quatrième thématique aborderont les maladies et déviations.
Dysfonctions de circuits neuronaux
Si elles ont surtout été l’affaire de psychiatres jusqu’à récemment, les neurosciences mobilisent de nos jours des chercheurs et experts de diverses disciplines : généticiens, biologistes moléculaires, physiciens, neurophysiologistes, spécialistes en modélisation informatique, en optogénétique et autres techniques de pointe.
Outre le fait qu’elles peuvent entraîner des retombées cliniques significatives, les percées technologiques incitent à percevoir différemment la maladie mentale, selon le neurologue Alain Dagher. «En saisissant mieux comment les circuits du cerveau fonctionnent, on commence à comprendre que la dépression, la schizophrénie et la dépendance sont des dysfonctions de circuits neuronaux», dit le professeur de l’Université McGill. Un peu comme des postes de péage, les dysfonctions engendrent des bouchons de circulation que le chercheur appelle «des problèmes de communication».
À son avis, ce qu’on apprend sur le fonctionnement des réseaux offre de formidables perspectives dans le traitement des affections neurodégénératives comme les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, en plus de permettre une meilleure compréhension des troubles mentaux. Pas de doute, signale M. Dagher, une nouvelle ère est bien en train de s’ouvrir…
Le symposium du GRSNC est organisé par les professeurs Paul Cisek, John Kalaska, Alain Dagher, Lesley Fellows (Université McGill) et Peter Shizgal (Université Concordia). La rencontre est soutenue financièrement par le Vice-rectorat à la recherche, à la découverte, à la création et à l’innovation de l’UdeM, le Fonds de recherche du Québec ‒ Santé, l’Institut et hôpital neurologiques de Montréal, ainsi que les facultés de médecine de l’UdeM et de l’Université McGill.
Dominique Nancy