Quatre professeurs de l’Université de Montréal se voient confier des chaires en IA Canada-CIFAR, qui visent à accélérer les programmes de recherche prometteurs en intelligence artificielle.
Et s’il devenait possible de faire interagir des neurones du cerveau humain avec les neurones artificiels de puissants ordinateurs? Ou encore, l’intelligence artificielle nous permettra-t-elle de prédire les complications d’une infection à la COVID-19? Et le décodage des couches du néocortex inspirera-t-il la façon d’accélérer l’apprentissage automatique?
Ce sont là des avancées prometteuses en intelligence artificielle (IA) susceptibles de résulter des programmes de recherche de quatre professeurs de l’Université de Montréal qui viennent chacun de se voir confier une chaire en IA Canada-CIFAR.
Il s’agit de Gauthier Gidel, du Département d’informatique et de recherche opérationnelle, d’Eilif Muller, du Département de neurosciences de la Faculté de médecine, ainsi que de Guillaume Lajoie et de Guy Wolf, du Département de mathématiques et de statistique. MM. Gidel, Muller et Wolf sont tous trois chercheurs à l’IVADO, l’Institut de valorisation des données.
Le CIFAR est une organisation de recherche internationale créée au Canada en 1987 et qui compte plus de 400 chercheuses et chercheurs issus de 161 établissements d’enseignement répartis dans 18 pays.
S’inscrivant dans la stratégie pancanadienne en matière d’intelligence artificielle lancée en 2017, les chaires en IA Canada-CIFAR offrent à leurs titulaires un financement à long terme destiné à soutenir leurs programmes de recherche interdisciplinaires et à les aider à former la prochaine génération de chefs de file dans ce domaine de pointe.
Cette année, le CIFAR a accordé 29 chaires, dont 10 à des chercheurs et chercheuses d’universités du Québec, en partenariat avec l’Institut québécois d’intelligence artificielle (Mila) – confirmant l’importance de Montréal comme pôle de recherche de premier plan en intelligence artificielle au pays.
Faire interagir des neurones artificiels et biologiques
Historiquement, les neurosciences et l’intelligence artificielle ont des racines communes: ces deux disciplines s’intéressent à la façon dont fonctionnent les réseaux de neurones – biologiques dans le premier cas et artificiels dans le second. Et la grande question qui reste à élucider est de déterminer par quel langage il sera possible de les faire communiquer.
C’est ce à quoi se consacre le professeur Guillaume Lajoie, dont les travaux de recherche – à la jonction des neurosciences et de l’IA – s’inspirent du cerveau humain pour créer des algorithmes plus flexibles dans leur capacité à se répondre dans des environnements complexes.
«Nous avons, à Montréal, une expertise dans ces deux secteurs et la chaire CIFAR me permettra de créer un laboratoire qui réunira des chercheurs et chercheuses autour de deux grands axes de recherche: l’un théorique tourné vers la mise au point d’outils mathématiques pour mieux comprendre comment des réseaux dynamiques de neurones, biologiques ou artificiels, supportent des computations complexes, et l’autre qui vise à concevoir des interfaces cerveau-machine», explique Guillaume Lajoie.
Par exemple, il est plausible d’anticiper que des implants neuronaux issus de l’intelligence artificielle puissent aider à la réhabilitation de personnes ayant subi un accident vasculaire cérébral ou des blessures du système moteur, en stimulant des neurones spécialisés dans l’accomplissement de certains mouvements ou en décodant les intentions du patient pour l’aider à contrôler des appareils externes tel un bras robotisé.
«Les implants représentent une voie très prisée en recherche, car ils offriraient plus de liberté aux personnes aux prises avec des limitations», évoque celui qui a obtenu son doctorat en mathématiques appliquées de l’Université de Washington à Seattle et effectué un postdoctorat à l’Institut Max-Planck de dynamique et d’autoorganisation à Göttingen, en Allemagne.
Prédire les complications de la COVID-19
Déjà engagé dans différents projets de recherche avec son collègue Guillaume Lajoie, Guy Wolf travaille sur la production de connaissances à partir de mégadonnées.
Spécialiste de l’approche géométrique de la science des données, Guy Wolf se concentre sur l’élaboration d’outils informatiques d’analyse exploratoire pouvant être notamment utilisés en sciences biomédicales.
Aussi, grâce à la chaire CIFAR, le professeur créera un laboratoire composé d’étudiants-chercheurs et étudiantes-chercheuses en informatique, en mathématiques fondamentales et appliquées ainsi qu’en génomique – trois domaines piliers pour lesquels le professeur souhaite élaborer des outils.
L’un des principaux pôles de recherche du nouveau laboratoire sera l’analyse à résolutions multiples de données biomédicales ainsi que le traitement de données dans des réseaux neuronaux artificiels et biologiques.
Concrètement, cette approche a récemment permis de mettre au point un outil nommé Multiscale PHATE, capable d’apprendre et de visualiser des caractéristiques et groupements cellulaires à partir de 54 millions de cellules provenant de 168 patients hospitalisés en raison de la COVID-19 à l’hôpital Yale New Haven au Connecticut. L’équipe de recherche a observé que, au sein du système immunitaire, les granulocytes et monocytes étaient plus présents chez les personnes décédées de l’infection, tandis que les cellules T étaient celles qui prédominaient chez les patients ayant survécu.
«Ceci permet de déterminer les différentes signatures que peut avoir la COVID-19, en désignant les différences et similitudes que révèlent les cellules, indique Guy Wolf. En comprenant mieux les dynamiques de la maladie et les divers symptômes qui se manifestent chez les patients, il devient possible de les traiter plus adéquatement.»
Arrivé à Montréal en 2018 après avoir enseigné à l’Université Yale aux États-Unis, Guy Wolf a fait son doctorat en Israël, où il est né, et un postdoctorat en informatique à Paris.
Mettre des réseaux en compétition pour optimiser l’apprentissage
Spécialisé en apprentissage automatique, Gauthier Gidel est devenu professeur au Département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’UdeM en août dernier, après un doctorat à l’Université sous la direction de Simon Lacoste-Julien.
Son champ de recherche de prédilection est l’optimisation de l’apprentissage profond sous l’angle de la théorie des jeux: en créant des tâches que des réseaux en compétition les uns avec les autres doivent apprendre, il analyse de quelle façon le réseau qui est parvenu à gagner s’y est pris.
Sa quête consiste à saisir comment la complexité émerge de la compétition entre machines, un peu comme on l’observe chez les joueurs d’échecs.
«Si l’on joue contre des joueurs de plus en plus forts, il devient de plus en plus difficile de gagner: il faut alors maîtriser le jeu de façon plus fine, exploiter les failles de son adversaire, planifier les coups…, ce qui implique l’apprentissage d’idées et de concepts très complexes, car le seul moyen de gagner est de se montrer plus malin que son vis-à-vis», illustre Gauthier Gidel.
La chaire CIFAR lui permettra donc de concevoir de nouvelles tâches et de jeter les fondations théoriques de l’apprentissage profond pouvant émerger de l’émulation entre des systèmes de neurones artificiels.
«La conception de nouvelles tâches et la pose de leurs fondations théoriques sont deux assises de mon plan de recherche que je souhaite travailler en parallèle, en laissant la théorie et la pratique s’inspirer l’une de l’autre», conclut-il.
Décoder le néocortex des mammifères pour maximiser l’apprentissage automatique
Spécifique aux mammifères, le néocortex est une zone du cerveau qui correspond à la couche externe des hémisphères cérébraux et qui est impliqué dans les fonctions cognitives supérieures comme les perceptions sensorielles, les commandes motrices volontaires, le raisonnement spatial, la conscience… et l’apprentissage.
«Dans le domaine des neurosciences, le Graal est de parvenir à comprendre la manière dont le motif de circuit répétitif du néocortex réussit à apprendre – en continu et de façon robuste – un si large répertoire de fonctions», lance Eilif Muller, professeur à l’UdeM et chercheur principal au laboratoire des architectures d’apprentissage biologique du Centre de recherche du CHU Sainte-Justine.
Son programme interdisciplinaire de recherche repose sur des approches informatiques et mathématiques dans l’étude des mécanismes biologiques et algorithmiques de l’apprentissage, et intègre les dernières avancées empiriques dans la compréhension de la physiologie synaptique, dendritique et des circuits du néocortex.
«Les réseaux de neurones artificiels, qui sont à la base de l’apprentissage profond en intelligence artificielle, ont été inspirés par l’architecture du néocortex, mentionne M. Muller. En revanche, les mécanismes d’apprentissage dans le néocortex restent mal compris et semblent fondamentalement différents des algorithmes standards d’apprentissage en profondeur.»
Une hypothèse sous-jacente à son programme de recherche est que la capacité d’apprentissage du néocortex repose sur sa capacité de prédiction.
«Comprendre ces processus d’apprentissage aidera à mieux voir comment se produisent les désordres neurologiques, telle la schizophrénie, et à trouver des traitements plus appropriés», poursuit le physicien formé en Colombie-Britannique, en Allemagne et en Suisse.
«Ultimement, notre objectif est de parvenir à fournir une nouvelle inspiration pour résoudre des problèmes ouverts dans le domaine de l’apprentissage profond et une nouvelle base conceptuelle pour comprendre le fonctionnement et le dysfonctionnement de l’apprentissage dans le cerveau des mammifères», souligne Eilif Muller.